Le casse-tête du changement de lieu de travail

Amandine Lecomte

Récemment un employeur me contactait pour me faire part d’une grande nouvelle : il avait enfin trouvé les locaux qu’il attendait depuis longtemps et il allait s’y installer avec son personnel.

Passé l’effervescence de la bonne nouvelle, il me recontactait peu de temps après : certains salariés ne voulaient pas changer de lieu de travail … Que pouvait-il faire dans la mesure où les anciens locaux allaient disparaître ?

Rappelons en la matière la règle poser par la Cour de cassation dès 2006 (Cass. soc., 26 sept. 2006, n° 04-46.734) : la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a une simple valeur informative, elle n’empêche donc pas l’employeur, en principe, de proposer une mutation au salarié lorsqu’elle intervient dans le même secteur géographique. La mutation s’impose alors au salarié, qui ne peut pas en principe la refuser. A l’inverse, lorsque la mutation s’opère dans un secteur géographique distinct, l’employeur doit obtenir l’accord du salarié.

Ce principe souffre déjà d’une exception : s’agissant des salariés protégés, toute mutation requiert leur accord, y compris si elle intervient dans le même secteur géographique. En effet, aucune modification de leur contrat de travail ni aucun changement de leurs conditions de travail ne peuvent leur être imposés. Si un salarié protégé refuse une mutation, il appartient à l’employeur soit de le maintenir dans son poste initial, soit de demander à l’inspecteur du travail l’autorisation de le licencier (Cass. soc., 17 oct. 2001, n° 99-43.301). Le maintien dans un poste initial qui disparaît peut toutefois s’avérer fort compliqué en pratique.

De même, lorsque les parties ont convenu, dans le contrat de travail, d’une exécution de tout ou partie de la prestation de travail par le salarié en un lieu précis, que ce lieu précis est l’une des raisons déterminantes de l’engagement du salarié, l’employeur ne peut modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié (Cass. soc., 12 févr. 2014, n° 12-23.051). Les parties ont, dans ce cas, décidé d’un commun accord de donner au lieu de travail non plus une valeur informative mais une valeur impérative qui s’impose à elles et ne peut être modifiée que d’un commun accord.

Mais au-delà de ces premières difficultés, se trouve une seconde difficulté : la définition du secteur géographique lequel ne correspond pas nécessairement à un découpage administratif (Cass. soc., 28 sept. 2005, n° 03-43.571). Il n’existe, en effet, aucune définition légale du secteur géographique. C’est aux juges, à l’occasion de chaque litige, qu’il appartient de déterminer si la mutation intervient ou non dans le même secteur géographique. Cette appréciation doit être effectuée de manière objective et identique pour l’ensemble des salariés. L’étude des décisions rendues par la Cour de cassation montre qu’il est tenu compte de la localisation des deux lieux de travail, des transports en commun, de la durée du trajet, des facilités d’accès, bref des contraintes supplémentaires ou non imposées aux salariés.

En revanche, les spécificités de la situation personnelle de chacun (le domicile du salarié, l’impact du changement sur sa vie personnelle, ses moyens financiers, etc.) n’interviennent pas dans l’appréciation du changement.

Toutefois, même si le changement de lieu de travail intervient dans le même secteur géographique, la Cour de cassation a admis que le salarié puisse refuser ce changement lorsqu’il porte atteinte aux droits à la santé et au repos du salarié et à une vie personnelle et familiale et que cette atteinte n’est ni justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché (Cass. soc., 7 juill. 2016, n°15-15.342 ; Cass. soc., 16 nov. 2016, n°15-23.375). Dans ce cas précis, il est conseillé à l’employeur de se montrer extrêmement prudent sur ces motivations et de démontrer de façon très précise l’absence d’autres possibilités : la mutation étant la seule et unique possibilité ouverte à l’employeur…

Ceci est extrêmement important car le salarié qui refuserait sa mutation au sein d’un même secteur géographique sans raisons valables commettrait un acte d’insubordination, susceptible d’entraîner son licenciement pour cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 15 mars 2006, n° 04-42.073). L’employeur serait également fondé de demander au salarié d’exécuter son préavis sur le lieu de la nouvelle affectation, le refus de ce dernier le privant de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents (Cass. soc., 4 avr. 2006, n° 04-43.506).

La question est encore plus épineuse lorsque la mutation intervient dans un autre secteur géographique. Dans ce cas, le salarié est en droit de refuser le changement de lieu de travail puisqu’il s’agit en effet d’une modification du contrat de travail (Cass. soc., 27 nov. 2002, n° 00-45.751). Ce refus n’étant pas fautif, un licenciement s’appuyant sur ce motif serait naturellement dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur n’a alors dans ce cas de figure que 3 options qui s’offrent à lui :

– Abandonner son projet (si c’est possible)
– Rompre le contrat de travail du salarié d’un commun accord
– Licencier le salarié sans motif et prendre le risque de la condamnation associée
Il n’existe hélas, aucun texte permettant de rompre valablement et unilatéralement le contrat de travail d’un salarié qui refuserait de se rendre sur le nouveau lieu de travail et ce, quand bien même l’employeur n’aurait, lui non plus, pas le choix de ce déménagement.

C’est pourquoi, il est conseillé aux employeurs de prévoir dans les contrats de travail des salariés, l’intégration d’une clause dite de « mobilité ».

La clause de mobilité consiste à prévoir contractuellement l’éventualité d’une modification du lieu de travail. Autrement dit, par l’intermédiaire de la clause de mobilité, le salarié accepte expressément par avance une nouvelle affectation géographique. En appliquant cette clause, l’employeur peut donc librement muter le salarié, y compris dans un secteur géographique différent, sans que l’accord de ce dernier ne soit nécessaire. La jurisprudence a d’ailleurs admis que cette clause pouvait être insérée dans tous les contrats de travail (Cass. soc., 19 juin 1997, n° 94-45.237). Elle doit néanmoins prévoir quelques points pour être valable car il ne s’agit pas de donner un « blanc-seing » à l’employeur.

Pour être valable cette clause doit :

– Définir précisément sa zone géographique d’application (Cass. soc., 16 juin 2009, n° 08-40.020)
– Ne pas permettre à l’employeur de modifier unilatéralement le périmètre retenu (Cass. soc., 6 oct. 2010, n° 08-45.324)

C’est pour cette raison qu’a été déclarée inopposable au salarié, une clause prévoyant qu’il pourrait être affecté dans un des magasins de la région ou de la société (Cass. soc., 18 mai 2005, n° 03-41.819). Si le salarié ne connaît pas l’étendue de son obligation, la clause de mobilité lui est inopposable. Le libellé de la clause de mobilité est donc essentiel. La rédaction de cette dernière doit être précise pour en assurer son plein effet.

Et là encore, même si la mutation intervient en application d’une clause de mobilité, la Cour de cassation admet que le salarié puisse la refuser lorsqu’une telle mutation porte atteinte aux droits à une vie personnelle et familiale et que cette atteinte n’est ni justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché (Cass. soc., 17 oct. 2012, n° 11-18.029 ; Cass. soc., 10 févr. 2016, n° 14-17.576).

Dès lors qu’un salarié est lié par une clause de mobilité, toute mutation intervenant dans un secteur couvert par la clause peut lui être imposée par l’employeur. Autrement dit, l’accord du salarié n’est pas requis et son refus peut lui valoir un licenciement disciplinaire. Le refus du salarié sera possible uniquement si :

– la validité de la clause est contestable parce que son étendue n’a pas été suffisamment précisée ;
– la mise en œuvre de la clause est abusive : légèreté, précipitation, détournement ;
– la mutation elle-même entraîne une modification du contrat de travail et notamment une réduction de la rémunération (Cass. soc., 14 oct. 2008, n° 07-41.454)
– la mise en œuvre de la clause porte atteinte au droit du salarié à une vie personnelle et familiale, à moins que cette atteinte soit justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, ce dont s’assurera le juge en cas de litige (Cass. soc., 14 oct. 2008, n°07-40.523 ; Cass. soc., 17 oct. 2012, n° 11-18.029). La charge de la preuve est allégée pour le salarié car, une fois l’atteinte établie, il appartient à l’employeur de démontrer qu’elle est justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

Aussi, le changement de lieu de travail d’un salarié est un sujet très complexe pour lequel il convient d’être parfaitement accompagné et informé afin de prendre les bonnes décisions stratégiques pour l’entreprise en connaissance des risques associés.

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