Indépendance – Dépendance : les parties au contrat ne choisissent pas

Amandine Lecomte

Après les arrêts de la Cour de cassation du 4 mars 2020 (n°19-13316) et du 28 novembre 2018 (n°17-20079), certains ont pensé, peut-être rapidement que l’ensemble des travailleurs de plateforme était nécessairement des salariés.

Pour rappel, le contrat de travail peut se définir comme l’exécution d’une prestation de travail pour le compte d’autrui et sous la subordination de ce dernier qui a le pouvoir de donner des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements.

Certes mais finalement même un prestataire indépendant peut rentrer dans cette définition dans la mesure où il exécute une prestation pour une personne (le donneur d’ordre) qui a bien donner des directives, qui peut en contrôler la bonne exécution et en sanctionner les manquements (notamment en ne faisant plus appel à ce prestataire par la suite s’il n’est pas satisfait de ses services). Ainsi toute relation professionnelle serait nécessairement qualifiable en relation salariale.

Ce n’est pourtant pas l’analyse retenue par la Cour d’appel de Paris qui estime que le livreur dont il était question dans son arrêt :

  • Était libre d’accepter ou non les prestations proposées
  • Était libre de travailler pour d’autres prestataires
  • Était libre de sous-traiter ses prestations

La liberté organisationnelle est-elle finalement le critère pour faire échec au contrat de travail ?

C’est l’analyse qui semble être retenue par la CJUE (ordonnance du 22 avril 2020 n° C-692/19). La Cour commence par poser la définition d’un travailleur au sens de la directive européenne 2003/88 du 4 novembre 2003. Elle explique ensuite ce qui n’est pas un travailleur (donc un salarié) au sens de cette directive. Aussi, si le travailleur dispose de la possibilité de :

  • Recourir à des sous-traitants ou à des remplaçants pour effectuer le service convenu ;
  • Refuser les différentes tâches offertes ;
  • Travailler pour d’autres personnes que le donneur d’ordre y compris des concurrents ;
  • Fixer librement ses horaires de travail ;

Alors le travailleur ne peut être qualifié de salarié au sens du droit du travail. C’est exactement l’analyse qui a été faite par la Cour d’appel de Paris.

Cette explication a aussi le mérite de clarifier certaines ambigüités : la place des cadres dirigeants.

Certains cadres dirigeants sont salariés au sens du code du travail et même s’ils disposent de prérogatives et de pouvoirs étendus, il n’en demeure pas moins qu’ils répondent à la définition du salarié dans la mesure où ils ne peuvent recourir à des sous-traitants pour assurer leurs missions, ni même refuser une partie des tâches offertes. A l’inverse, il existe des cadres dirigeants qui ont un bulletin de paie (car ils sont assimilés à des salariés au sens de la sécurité sociale) mais qui ne sont pas salariés au sens du code du travail (faute de remplir les conditions posées par la définition). Ainsi un Dirigeant assimilé salarié peut parfaitement cumuler son mandat social avec un contrat de travail pour peu qu’il existe, au moins sur une partie de ses tâches, un véritable lien de subordination. Faute de lien de subordination avéré, aucun contrat de travail ne peut être retenu. A l’inverse, même sans contrat de travail, la relation sera nécessairement requalifiée en relation salariée dès lors qu’un lien de subordination peut être établi.

Les employeurs ayant recours à la sous-traitance ou les dirigeants souhaitant cumuler leur mandat avec un contrat de travail auront tout intérêt à sécuriser leur relation de travail en amont… A défaut l’addition pourrait se révéler salée.

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