Lundi 13 avril 2020, notre Président a pris la parole à 20 heures pour délivrer un discours teinté d’humanisme, de repentance et d’espoir.
« L’espoir fait vivre ». Cet adage que l’on emploie souvent au second degré pour signifier à une personne qu’il ne faut pas qu’elle se berce d’illusions et qui mérite tout à coup d’être lu au premier degré : oui l’espoir fait vivre !
Mais quel espoir ? Nous imaginons tous le monde d’après, Comment le voulons-nous ?
Pour ma part, je le souhaite plus juste, plus équitable et plus solidaire.
Je ne le souhaite pas plus égalitaire, l’expérience m’a montré que l’égalité a tendance à niveler les choses par le bas. En revanche l’équité nivèle par le haut.
Un mélange des genres bien triste
Alors que le Président du MEDEF explique qu’il faudra travailler plus et revoir la durée du travail et les repos, alors que les syndicats de salariés s’insurgent qu’un accord collectif puisse permettre à un employeur d’imposer à un salarié 6 jours de congés payés moyennant un délai de prévenance extrêmement restreint et alors que le tribunal administratif de Nanterre ordonne, le 14 avril 2020, à Amazon de respecter les mesures de protection pour ses salariés et de restreindre son activité « aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, d’hygiène et médicaux », je m’interroge vraiment sur ce monde d’après.
Qu’un employeur soit mis en demeure de respecter la sécurité de ses salariés est logique … mais cela ne devrait pas exister ! Aucun être humain ne devrait, en toute conscience, mettre la vie des autres en danger. En revanche qu’on condamne cet employeur à limiter son activité au strict minimum sans démontrer en quoi la limitation de cette activité va avoir un effet positif sur la santé de ses salariés me semble douteux. Dans le cas d’Amazon, le salarié n’a pas plus de risques à préparer un colis de crayons de couleurs ou un colis de pâtes ! Et qui sont ces juges pour déterminer ce qui est essentiel ou accessoire ? Je télétravaille, j’ai donc besoin de fournitures de bureau et me les faire livrer est, de loin la solution la plus sûre pour éviter la propagation du virus … Si je ne peux plus me fournir pour exercer mon activité, j’arrête ? Qu’on lui impose d’allonger les temps de livraison pour faire respecter les gestes barrières et la protection de ses salariés me semble logique mais qu’on lui dise de ne vendre que les fournitures « considérées comme essentielles par le Tribunal » me semble aller un peu loin en matière de restriction des libertés. Il ne m’est pas interdit lorsque je me rends au supermarché d’acheter des crayons de couleurs pour mon enfant confiné en plus des pâtes et du riz … A un moment si je me suis déplacée je me suis exposée et j’ai exposée les autres indépendamment du contenu de mon caddie. L’image est la même qu’en matière de bricolage : si je me suis déplacée pour acheter les joints et les tuyaux pour réparer ma fuite d’eau, pourquoi ne puis-je pas acheter en même temps le papier peint pour refaire la pièce qui a pris l’eau ? Le déplacement a eu lieu, le risque a été pris !
Vers plus de justice ?
Aussi, le monde de demain doit être guidé par ces quelques mots : pragmatisme, équité, bon sens, solidarité et JUSTICE.
Une situation injuste ou perçue comme telle sera nécessairement source de conflit à plus ou moins long terme. Il ne peut y avoir de vie en société sereine et apaisée sans justice !
Aussi, pour parvenir à cette justice, il convient de comprendre que la reconstruction se fera les uns AVEC les autres et non les uns CONTRE les autres.
Il ne faut toutefois pas confondre JUSTICE et JUGEMENT. Je ne me livrerai pas à la critique facile de la gestion de cette crise, c’est assez facile de prétendre qu’on aura fait mieux à leur place si on avait été aux commandes sans connaître l’intégralité des paramètres. Car oui nous avons facilement tendance à juger notre prochain sans même le connaître ou savoir ce qu’il éprouve …
Cet adolescent qui passe son temps dehors sans respecter les règles de confinement au risque de tous nous tuer … peut-être vit-il dans une famille où ses parents passent leurs journées à se disputer et à s’insulter (ou l’insulter) et peut-être que la seule façon qu’il a de rester en vie est de sortir …
Ce Monsieur qui remplit son caddie pour un régiment est peut-être directeur d’un foyer social avec de très nombreuses personnes à nourrir…
La vérité c’est que nous nous permettons en permanence de juger les gens sans rien connaître de leur vie. Un peu d’humilité nous ferait à tous le plus grand bien.
Ce qui nous permettra de nous relever c’est la solidarité dont nous ferons preuve les uns envers les autres. Si nous restons campés dans nos égoïsmes et nos individualismes nous serons tous perdants.
C’est pour ça que je regrette ces textes, ces annonces ou informations qui vont à l’encontre du bien commun.
Un chemin qui sera long tant le clivage semble profond et ancré dans les dogmes de chacun
Je regrette cette ordonnance qui permet à un employeur d’imposer des jours de congés payés à son salarié sans respect du délai de prévenance habituelle. Il me semble qu’elle est inutile ! La majorité des salariés seront prêts à s’investir plus, à en faire plus s’il s’agit de sauver leur entreprise et leur emploi.
Je regrette également les propos du Président du MEDEF laissant sous-entendre qu’il va falloir rogner un peu sur les acquis sociaux si on veut se relever… Il ne s’agit pas de travailler plus mais de travailler mieux !
Les employeurs sont aussi des êtres humains qui, pour la plupart, ont bien compris que leur intérêt était convergent avec celui de leurs salariés. Il n’est nul besoin de ce genre de propos en ce moment, laissons chaque entreprise en concertation avec son personnel décider de ce qu’il y a de mieux pour tous !
Pas d’entreprise = pas de salariés mais sans salarié, l’entreprise ne peut pas tourner : nous avons tous besoin les uns des autres.
Il devient urgent de sortir des vieux schémas. C’est le moment de réinventer un droit du travail où chacun s’y retrouve.
Nous voulons un monde plus juste et solidaire ? Alors il faut tirer les conséquences de ses désirs et accepter les concessions que chacun devra faire. Non ça ne me fait pas plaisir de voir l’annulation de mon voyage et de recevoir un remboursement sous forme d’avoir en ne sachant même pas si je pourrais l’utiliser et quand je pourrais l’utiliser ! Ce n’est pas ma faute si le voyage n’a pas pu avoir lieu… oui mais ce n’est pas la faute du voyagiste non plus et je dois accepter que s’il est contraint de rembourser chacun de ses clients il fermera son entreprise et mettra ses salariés au chômage … et mon voyage je ne suis pas près de le faire, même plus tard !
Des solutions simples et concrètes
La dette qui se profile va être abyssale et nous devrons tous y contribuer à notre niveau dans le respect d’une véritable justice sociale. Qu’est-ce que la justice sociale par exemple ?
Pour l’activité partielle
En matière d’activité partielle, c’est une prise en charge de l’Etat plafonnée à 3.5 SMIC (soit un salaire brut de près de 5 400 € pour 151.67 heures par mois) en lieu et place des 4.5 SMIC prévus. Cette indemnisation se faisant non pas sur la durée légale du travail mais sur la durée contractuelle du travail (avec des gardes fous pour limiter les effets d’aubaine) : ainsi la situation serait équitable d’un salarié à l’autre, d’une entreprise à l’autre. Il n’est, en effet pas acceptable, qu’un salarié travaillant contractuellement sur 39 heures soit lésé par rapport à un salarié en forfait-jours ! A l’exception de quelques temps partiels, la durée du travail est déterminée par l’employeur et il n’est pas juste que le salarié, qui n’a pas la main sur ce paramètre, puisse être lésé. La réforme tant attendue en matière d’activité partielle serait ainsi bien plus facile à mettre en œuvre et bien moins source d’insécurité juridique (ou de débats animés sur le sens du mot « ramené » dans l’article R5122-18).
Par ailleurs, le conditionnement de ces allocations devrait résulter de véritables difficultés économiques démontrables. Il n’est pas acceptable que des entreprises puissent bénéficier de l’activité partielle alors qu’elles ne subissent en réalité aucune baisse de leur chiffre d’affaire.
Pour les revenus de remplacement
Les revenus de remplacement deviendraient cotisables sans distinction et par principe (cela résout ainsi de nombreux casse-tête ou débat). Alors bien entendu en cette période, il est difficile d’entendre que l’on doit cotiser sans trésorerie mais finalement ne peut-on pas imaginer un mécanisme de réductions de cotisations et contributions à l’image de ce qui existe en matière d’heures supplémentaires ? les sommes sont cotisables mais bénéficient de remboursement selon certains critères : il ne s’agit plus de reports dont on sait tous qu’il sera impossible pour bon nombre d’entreprises d’y faire face mais de remboursement de cotisations. Nous savons le faire et ce système peut être modulé. Si nous voulons réellement sauver les entreprises et les emplois, il faut assurer les moyens de la reprise de façon pérenne : le chiffre d’affaires perdu est définitivement perdu, il ne reviendra pas par miracle.
Pour les impôts sur le revenu
Chaque contribuable français devra payer de l’impôt sur le revenu, même les plus modestes et même s’il s’agit d’une contribution forfaitaire minime. La charge de l’impôt ne doit pas reposer sur une seule partie de la population. L’effort doit être collectif.
Pour certains calculs et attributions en matière d’indemnités ou d’allocations
Il est tout-à-fait logique qu’un licenciement pour inaptitude professionnelle engendre le versement par l’employeur d’une indemnité de licenciement significative (le salarié perd son emploi par la faute de son employeur) mais à l’inverse il n’est pas normal que le licenciement pour inaptitude non professionnelle entraîne le versement d’une indemnité : l’employeur doit se séparer de son salarié à la suite d’un avis médical pour une inaptitude dont il n’est nullement responsable … L’employeur doit payer ses fautes mais il ne doit pas payer les choses dont il n’est pas responsable. Si je suis maçon et que je me coupe les bras chez moi, je ne peux plus travailler mais ce n’est pas la faute de mon employeur si je me suis coupé les bras, il ne devrait pas avoir à me verser d’indemnités de rupture. C’est triste pour moi mais il n’y est pour rien et l’entreprise ne devrait pas être mise en péril pour ça ;
Sur la même logique : suppression de l’obligation de versement d’une indemnité en cas de rupture conventionnelle : c’est un départ négocié qui devrait, à ce titre, laisser le champ totalement libre à la négociation ;
Suppression de l’existence du calcul du dixième congés payés en présence d’un salaire fixe non fluctuant : là encore il n’est pas logique qu’un salarié ayant toujours la même rémunération touche plus lorsqu’il ne travaille pas ;
Suppression des droits Pôle Emploi en cas de rupture du contrat pour abandon de poste : il ne s’agit pas d’une perte involontaire d’emploi … Mais ouverture des droits à l’ensemble des salariés qui ont quitté un emploi pour un autre et où le nouvel employeur met fin à la période d’essai (le salarié a perdu involontairement son emploi et alors qu’on encourage les salariés à se montrer mobile et à oser, il n’est pas acceptable de fermer les portes de l’indemnisation à des salariés qui ont involontairement perdu leur dernier emploi).
C’est en changeant notre mode de pensée et en faisant taire nos égoïsmes que nous pourrons, tous ensemble, sortir de cette crise